1372 2e décade du mois du Ches 9e jour

1372 CV 9e jour de la 2e décade du mois du Ches

Au petit matin l'Orangeaie panse ses plaies. L'attaque de la nuit a été furieuse, brutale et brève. Les incendies ont pris sur certains bâtiments ciblés. Mais la pluie, qui tombe en abondance depuis deux jours, a évité qu'ils ne se propagent, restant comme des halos de lumière sang au milieu de la nuit noire.
La milice au matin rôde aux alentours du quartier, sans oser réellement pénétrer son coeur labyrinthique, surtout que la population pourrait s'émouvoir, et que l'émotion dans ce type de quartier tourne vite à l'émeute ! Elle escorte les chariots  de l'Antique nécropole qui viennent chercher les morts de la nuit, mais les laisse entrer seuls dans le quartier.
Peu à peu les habitants sortent des maisons dans lesquelles ils s'étaient restés terrés. Certains partent au travail, ceux qui en ont un, car la journée perdue pour eux est un perte financière importante.  D'autres se dirigent vers le coeur lointain de l'Orangeraie, guident les charriots vers les lieux attaqués pour récupérer les corps.
Dans ce quartier habituellement bruyant, il n'y a aucun bruit ce matin, les visages sont fermés, cloués dans le silence par une rage qui couve lentement comme un brasier caché sous les branchages de la pauvreté, de la peine et de la haine.

Dans la matinée quelques attroupements se forment, de femmes principalement.
La milice regarde de loin, et laisse faire lorsque ce sont des femmes.
Un attroupement d'hommes a été dispersé avec "politesse" par une milice de jour qui redoute de provoquer une réaction.  
On raconte qu'au matin ils ont fait enlever à l'entrée du quartier un drap blanc pendu à une maison comme un avertissement au reste de la ville... pendu à la façade d'une demeure où étaient morts trois enfants, brûlés dans leurs lit. Le drap arborait un grand rond noir tracé à la main à l'aide de suie mêlée de sang. Un rond noir cerclé de rouge portant sur le violet (on dit mélangé de teinture violette et de sang, sans doute par un des nombreux ouvriers teinturier qui habitent dans le quartier). L'étendard sombre et sanglant aurait été emmené et brûlé discrètement.  On dit aussi que le drap aurait été porté en direction du Palais des Conseillers par un affidé du maître chargé de la sécurité, en urgence.
Certains hommes de la milice, ainsi que la population présente aurait murmuré craintivement ou avec respect : "ce soir c'est la Tombée de la nuit". Ces mots semblent apeurer à la fois une partie de la population, mais surtout l'essentiel de la milice.
Milice et population, sauf exception, se tiennent largement à distance prudente. Des regards suspicieux, des regards de haine ; même au sein de la population, la vigilance semble de mise  : qui a trahit ?
Les membres connus de l'Orangeraie ne se montrent guère  dans la matinée. ON dit que les chefs se seraient regroupés dans une zone sûre. Les autres sont dans les zones attaquées à relever ce qui peut être relevé. Il demeure certain que leurs agents et fouines sont dans la foule, mais restent anonymes. Les habituels guetteurs, entre autre les enfants, semblent pour l'instant rester à l'abri.

Dans la matinée arrive une personnalité, en litière, portée par des porteurs vêtus de riches atours. Elle se presse avant d'être arrêtée par la milice. Une discussion s'en suit, la milice refusant de la laisser passer.
Un esclave écarte les voiles masquant l'intérieur de la litière pour que le chef de la milice puisse discuter avec la personnalité.



La belle dame annonce d'une voix suave mais ferme :
"J'ai ici nombre de mes travailleurs teinturiers, et j'exige de pénétrer le quartier pour m'enquérir de leur bonne santé après cette nuit où vous n'avez visiblement pas été à la hauteur. Monsieur, si vous souhaitez vous opposer à ma venue, vous irez en référer à mon époux "Maître Kasitech Heura haut conseiller justicier de la cité". Laissez nous passer ou il va vous en couter.
A ces mots la milice obtempère et laisse passer la litière.

A l'arrivée de la litière des attroupements hostiles se forment.
Clarimonde Kasitech Heura descend alors de son confortable abri.
Femmes superbe, sans doute âgée d'une trentaine d'années, vêtue des plus vêtements, parée de riches bijoux, bagues nombreuses et toutes plus belles les unes que les autres, colliers, bracelets de pieds, de poignets, aux bras et aux avant-bras.... on n'avait jamais vu cela en Orangeaie ! Le simple voile dont elle couvre son abondante chevelure noire de jais valant sans doute plus que ce que le paté de maison gagnera dans l'année !
Progressant sous la pluie elle passe entre les murs hostiles de pauvres du quartier qui finissent par s'écarter devant elle. Alors que certains approchent de façon menaçante, les mains dissimulés sous des vêtements larges pouvant dissimuler des armes, on dit à voix basse : "c'est une Ecluréan".
Escortée de deux massifs esclaves elle progresse alors sous la pluie battante. Certains la reconnaissent et s'inclinent. Elle fait un tour des lieux, pénètre dans quelques maisons, suivie par des gardes inquiets. Des femmes de sa compagnie sont dépêchées pour aider les plus nécessiteux, soigner. Elle annonce une aide pour ses manoeuvriers qui auraient été touchés par les évènements de la nuit. La matinée s'étire et tire vers sa fin. Une partie de son escorte part acheter des vivres. Elle progresse de maison en maison, chez ceux qui veulent bien l'accueillir, sous le regard effaré de la milice qui suit à distance, sans savoir s'il faut interdire cela ou non. En fin de matinée les hommes de son escorte reviennent avec de la nourriture et la distribuent sur deux ou trois places à l'entrée du quartier de l'Orangeaie. Clarimonde Kasitech Heura elle progresse toujours et entre finalement dans le quartier plus profond, cette fois sans escorte de la milice, mais avec ses hommes tout de même.
Elle en ressort trois heures plus tard, visiblement sans dommage.
Face à la milice, elle annonce le visage fermé :
- Certains vont payer pour ce qui a été fait ici, croyez moi !
La milice, restée proche de la litière, l'escorte en cours d'après midi vers la Ville "normale" puis vers le quartier du Palais du Conseil, visiblement rassurée de son retour en bon état.

Durant la journée, le quartier panse ses plaies.
Certains le disent : "la vérole ne meurt jamais car elle est là depuis toujours".
Des réseaux informels semblent se reformer. Des prêtes d'Ilmater passent dans l'après midi, aident, soignent. C'est seulement en fin de journée qu'on leur dit qu'il vaut mieux qu 'ils s'en aillent avant la tombée de la nuit. ON les remercie sincèrement, mais on leur conseille de partir.
En fin d'après midi Domna Clarimonde Kasitech Heura repasse dans le quartier, avec une escorte apportant des vivres, de quoi soigner. Alors que la tombée de la nuit approche, la milice se retire avec prudence, alors que des ombres sortent des ruines fumantes des maisons détruites. On discute à voix basse ou part signes convenus par des mains agiles.
Domna Clarimonde Kasitech Heura quitte la quartier la nuit tombée, avec son escorte, comme à regret mais avec un sourire inquiétant.
La nuit tombe, mais l'activité se poursuit encore un moment, et des groupes se forment.
Un funeste drapeau est tendu à l'entée du quartier. La nuit tombe, des groupes rôdent et font entrer finalement ceux qui restaient dehors. Les groupes restent, et errent. Aucune lumière n'est tolérée durant la nuit dans les rues et aux fenêtres, le quartier sombre totalement dans une nuit d'encre où personne n'a envie d'entrer. Les ombres de la Nuit sans Lune se propagent d'autant plus facilement.