Encore une journée ventue et pluvieuse, même si le temps semble s'améliorer. *
Les habitués des lieux se retrouvent, comme d'habitude. Ce n'est qu'en milieu de matinée qu'un mendiant, manchot, borgne, vêtu de haillons sordides entre et impose immédiatement le silence. Son unique oeil jauge toute l'assistance, et se fixe rapidement sur Muso et Kaenan, tout deux présents dès tôt le matin, restés chacun à l'écart de l'autre. Le mendiant est salué par les marins, les brigands, les malandrins présents. Il va prendre un siège à droite de l'entrée, entre l'entrée et la cheminée. Le patron vient lui servir quelques bouts de lards, du vin et du pain. Posant son bâton contre le mur, l'homme commence à manger de sa main unique. Sans trop tarder Kaenan vient prendre place à ses côtés. Pour Muso le temps est plus long, mais il finit par venir à son tour. Les trois hommes restent silencieux un moment. Puis le borgne baisse la tête, dissumulant son visage sous sa capuche dégueulasse, et commence à parler d'une voix inaudible. Kaenan acquièse, Muso ne bronche pas, reste impassible.
Pendant la discussion un silence de mort s'installe dans le reste de la pièce. Tout le monde comprend que l'on parle de l'attaque de l'Orangeaie et des suites à venir.
Une demi heure plus tard le mendiant se lève, faisant d'un geste signe à ses deux interlocuteurs de ne pas se lever pour lui... puis il se drape dans sa cape déchiquetée, prend son bâton et quitte les lieux dans le silence le plus absolu.
Kaenan fixe Muso. Muso ne fixe rien. Il se lève et reprend sa place à gauche de l'entrée.