1372 du mois du Ches au mois de Mirtul.

Le mois du Ches s'écoule difficilement. Les barricades installés perdurent. La milice n'entre plus, enfin, de toutes les façons, elle n'entrait en réalité que peu, parfois pour des visites imposées que, d'une certaine façon la pègre locale laissait passer histoire de dire que ce jour là elle avait autorisé la milice à parader, pour préserver les apparences. Finalement la milice n'entre plus. Certains matins on retrouve des graffitis du rond noir entouré d'un cercle rouge. Les gens se signent en passant devant.  Lorsque ces signes sont apposés aux limites sûres du quartier ils sont effacés. Mais dans le quartier où la milice ne passe pas, ils restent.
Le quartier ne se calme pas. Des nobles de la Ville Haute font apporter une aide matérielle au quartier. Mais cette aide n'entre pas directement. Elle est filtrée par les femmes qui errent autour du quartier, sans doute surveillées en amont par des hommes invisibles. Valérius Kellmaster vient, dans les jours qui suivent, observer les opérations de sécurité qui tentent de se dérouler dans le quartier. Dans la réalité il n'entre pas dans le quartier mais se montre aux alentours avec la milice. Des personnes, dans le public, l'applaudissent... des personnes qui semblent des quartiers voisins mais pas de l'Orangaie.
Durant des jours les miliciens patrouillent, mais finalement de façon de plus en plus lointaine car, la nuit tombée, les sans aveux qui peuplent le quartier semblent de plus en plus présents aux limites de ce quartier, et de plus en plus hostiles. Ils harcèlent oralement la milice, l'insultant sans la mesure habituelle  et provoquent même les gens issus de la populace qui ont été embauchés dernièrement par les frères Kellmaster dans la milice. Progressivement on sent que les harangues des sans aveux du quartier en direction de la milice touchent parmi celle-ci ceux qui sont issus des mêmes secteurs pauvres de la cité.
Les nobles familles de la cité envoient chacune à leur tour des représentants faire l'aumône. L’aumône est prise, à chaque fois, mais avec défiance. Comme indiqué plus avant, une nouvelle pègre semble s'emparer de ces dons et les répartir, et finalement cette gangrène putréfiant le quartier reproduit ce qu'elle déteste : une hiérarchie. Domna Matria Nerva Abda Elmoukrian est l'une des plus grande donatrice. Elle vient aux abors du quartier, mais n'entre pas. Pourtant, à ses approches (une fois par semaine), personne ne semble s'opposer à sa venue. Mais il n'est pas de sa classe d'entrer dans ce type de quartier, cela  ne se fait pas. L'austère Domna ne peut se livrer ainsi  en public, par contre elle peut donner. Les misérables du quartier approuvent cela. Le Maître Conseiller Bordian donne, lui aussi, comme bien d'autres, et tente de se montrer dans le quartier. Sa présence est éphémère car il sent que, avec son escorte, ses porteurs, son attitude, la population lui semble hostile. Ainsi, là où Domna Matria Nerva Abda Elmoukrian gagne dans l'opinion, lui y perd... Il ne fait qu'un passage et ne revient pas, mais donne encore. Domna Clarimonde Kasitech Heura née Rsashan Eclurean revient elle aussi, comme la première fois. L'incroyable se produit avec elle puisque bon nombre des familles de l'Orangeaie ont un frère, une soeur, père ou une mère, ou les deux, en prison. Et son époux est le Maître conseiller de la justice, donc responsable des emprisonnements et des condamnations, à mort... mais curieusement sa présence passe. Elle entre une nouvelle fois dans le quartier.  La deuxième fois avec son escorte. La troisième fois seulement escortée d'une autre femme, belle, fine, armée de deux cimeterres. Et à chaque fois cela passe. C'est une Eclurean, dit-on.
La charité, les aides... le retour à la misère malgré tout, voilà ce qui occupe le quartier.
On parle de la "grande décapitation", de "l'incinération"... Mais ce qui occupe c'est la vie de tous les jours. Comment survivre. Et puis on parle d'une rencontre qui aurait eu lieu, il y a une ou deux semaines, entre les Anciens des "Nous" et les Anciens des  "Autres". Un évènement qui n'a pas d’antécédent, de mémoire d'homme. Parfois on se bat avec la milice proche. Parfois ce sont des recrutés récents de la milice qui rejoignent les misérables de l'Orangeaie. Ils y retournent en réalité, dans leur réalité. Recrutés par les Kellmaster dans le fond du fond ils retournent finalement dans la fange qui leur avait donné naissance. Ces vauriens devenus miliciens refondent les rangs de la pègre décimée.  Ils profiteront de leur expérience auprès de la milice.
Les choses se calment, mais les graffitis demeurent.  Les désertions de la milice augmentent.
Domna Clarimonde Kasitech Heura née Rsashan Eclurean donne toujours et encore, mais ne vient plus. Le statut de son époux pose problème. Domna Matria Nerva Abda Elmoukrian donne encore. Elle ne vient pas, elle non plus. Malgré ses dons elle n'a jamais été bien reçue ici, même si l'on parle d'elle en de meilleurs termes que les nobles "classiques".

La rumeur d'une exécution d'un noble Place du Gibet calme les choses, comme si la mort d'un noble pouvait atténuer les douleurs du quartiers.
Quelques déserteurs de la milice gardent leur uniforme mais rejoignent le quartier, et font des rondes. C'est assez curieux, cocasse, il faut le dire. Cela amuse un temps les locaux, mais pas du tout les agents de la police qui rodent autour du quartier. Des rumeurs. Les Anciens. La Vinasserie. Le Marbre. Non ce n'est pas possible. Pas les deux. Et puis le Cadena. Et puis le Masque. Et puis Baine, voici la rumeur, des adeptes de Baine et son retour à Mintar... Le quartier est en pleine ébullition. Dans les  tréfonds, à la place à laquelle on discute, justement, on discute. Les Anciens sont là, et ils ne sont pas beaux.  Et puis d'autres gens seraient venus, des gens du Marbre même, qu'on dit. Et puis on dit que d'autres gens, plus oubliés et plus discrets, sont venus aussi. On parle du Masque qui serait de retour. On parle, mais on parle en silence, des ronds noirs avec un cercle rouge. Respect, crainte, douleur, dévotion.  Les cloaques infectes qui servent ici d'auberges pourrissent des rumeurs et des haines, de haine et de douleur; et de rancœur aussi vis à vis de ces nobles qui sont venus faire de la charité ici pour se faire bien voir.  A la fin  on n'accepte plus que les dons de Domna Matria Nerva Abda Elmoukrian mais seule Domna Clarimonde Kasitech Heura Rsashan Eclurean ose encore entrer dans le quartier.  C'est la seule noble qui est là par fraternité et non par charité. On dit qu'on l'a même vue dans des maisons, mains nues, apporter des soins aux crevant la faim. Mais ce qui inquiète c'est que l'on voit les mendiants, les sans bras, sans œil, sans jambe, ceux du Marbre, ils sont là.  On ne sait pas s'il faut s'en réjouir ou s'en inquiéter, donc on préfère s'en inquiéter.
Sur la Place de la Table, les choses s'organisent, les choses reprennent progressivement leur organisation.
Et puis les meurtres commencent dans le quartier du port. Et là, on ne sait pas pourquoi, mais cela semble souder le quartier. La vengeance, ils la tiennent...